Ce second tome de la trilogie de L’Enjomineur décrit, comme l’indique son titre, les évènements qui prennent place en l’année 1793. De la même manière que le premier, L'Enjomineur 1792. Cependant, ce tome m’a laissé une impression bien différente du précédent.
Éd. J'ai lu — 2010 — 476 p. |
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"C'est que, ajoutaient les suspects incarcérés de fraîche date, les girondins, depuis qu'ils se sont séparés de la Montagne, ont une peur bleue de la Commune et des enragés : ils proclament un peu partout qu'ils se prononceront contre la mort du roi, ou du moins qu'ils lui obtiendront un sursis, mais ils devront voter en public, sous le regard des excités, et c'est à craindre qu'ils n'oublient leurs promesses. Comptons plutôt sur l'aide des royaumes étrangers. Leurs armées finiront bien par briser la résistance de nos troupes braillardes et déguenillées..."
La différence qui m’a peut-être le plus marqué est le rapport du récit aux évènements historiques.
Le premier tome, L’Enjomineur 1792, me faisait penser à un roman historique : on suivait des hommes d’en bas (pas les grands meneurs, pas les personnages historiques qu'a retenus l’Histoire) et par ce biais on a vu l’évolution de la situation, et on a surtout assisté aux évènements marquants, que ce soit à Paris ou en Vendée. L’année 1792 n’est peut-être pas la plus chargée en évènements décisifs, mais le premier tome nous en brossait un portrait réaliste et complet, ce qui lui conférait une présence, une ambiance vraiment particulière que j’ai adorée. Il remplissait ainsi parfaitement son rôle de poseur de décors pour la suite, quitte à laisser l’intrigue un peu en retrait (ou plutôt, la laisser à un rythme lent pour se concentrer sur la tâche de donner vie et épaisseur au monde et aux personnages)
Ce second tome, en revanche, lance pleinement l’intrigue, au détriment de l’aspect plus passif, contemplatif, du monde et des évènements. Il privilégie l’histoire au détriment de l’Histoire. C’est logique, puisque ce n’est pas un roman historique, mais je ne peux pas m’empêcher de le regretter. Pire encore, à mes yeux, les deux intrigues vont prendre place pour l’essentiel à Paris, délaissant ainsi la Vendée alors que les évènements de l’année 1793 sont passionnant en Vendée. Moi qui espérais me voir contée la bataille de Nantes, j’en suis resté sur ma faim !
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Notre monde n'est invisible que pour ceux qui ne le voient pas.
Les intrigues se développent avec des enjeux enfin définis, en partie du moins.
On voit ainsi Emile se lancer (en plusieurs temps) dans sa quête, tant personnelle que générale (sauver le monde, rien que ça !) et continuer sa plongée dans le côté fantastique / merveilleux de cette Fantasy. Cette quête va également l’amener dans le fil des intrigues politiques, car son chemin va le mener à Paris.
Ce second tome va enfin rapprocher les deux intrigues principales et les chemins d’Emile et Cornuaud vont enfin se croiser, pour notre plus grand bonheur de lecteurs.
Ce second tome va enfin rapprocher les deux intrigues principales et les chemins d’Emile et Cornuaud vont enfin se croiser, pour notre plus grand bonheur de lecteurs.
Cornuaud continue de survivre, comme il sait bien le faire. Son rapport à sa malédiction, son envoûtement, évolue, et du coup cela ne devient jamais ennuyeux, répétitif. Au contraire, on a hâte de voir comment cela va encore évoluer. Le citoyen Belzébuth (aka Cornuaud : son surnom lui va si bien) navigue entre les diverses factions au gré des courants et des évènements. Il ne semble pas maître de son destin, ne cherche pas à suivre son propre chemin, et se contente bien souvent de suivre le mouvement. Il n’a pas de conviction politique, pas d’engagement citoyen, il survit. Faut dire qu’il a déjà beaucoup à faire avec son envoûtement et sa survie en ces temps troublés.
Un troisième fil narratif intervient parfois (4 chapitres sur 29) avec Antoine Schwarz, policier, et Armande. Bien qu’intéressante, cette intrigue reste moins prenante, portée par un personnage qui n’a pas pu bénéficier de la même mise en place, minutieuse, que les deux autres protagonistes. Cette intrigue secondaire nous permettra d’avoir quelques clefs supplémentaires pour la compréhension d’une partie de l’histoire qui, si elle sera abordée également par Emile et Cornuaud, pourra moins s’attarder sur certains détails qui nous auront déjà été donnés par cette arc narratif annexe. De plus, cela nous permet aussi de suivre des personnages récurrents qui apparaissent par moments dans les fils narratifs principaux, notamment Bellerive et Armande.
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Tu as le droit de savoir... ta naissance... l'esprit du mal... c'est toi qui a été choisi pour... pour accomplir...
Au final, ce tome m’a laissé une impression mitigée. Il est toujours aussi bien écrit, les personnages sont toujours aussi intéressants, mais le fait qu’il se concentre sur les intrigues au détriment de l’Histoire me semble le ramener à un roman classique, une histoire certes très bien mais aux structures narratives (la quête d’Emile notamment) qui se rapprochent de choses déjà vues. C’était sans doute nécessaire pour le roman, car sans développer ces intrigues le souffle du récit se serait peut-être perdu, mais du coup il me laisse une impression beaucoup moins durable que le premier.
Ce second tome réussit sa mission de poser les intrigues, les lancer vers leur conclusion dans le troisième et dernier tome, de la même manière que le premier tome a parfaitement réussi la mise en place du monde et des personnages principaux.
Le troisième tome, L’Enjomineur 1794, devrait ramener au moins en partie le récit en Vendée, où la guerre fait rage. J’ai hâte de retrouver cette ambiance particulière, portée par la plume de Pierre Bordage décrivant la Vendée. Je ne doute pas que cela suffira à me transporter à nouveau sans réserve.
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